Fin de journée

Cinq coups avaient retenti à l'horloge du château depuis une dizaine de minutes. Les élèves avaient quitté le cachot en déposant leur fiole sur le bureau de leur professeur, dans une procession étrange, comme s'ils venaient déposer leur offrande à un dieu craint et respecté. Tout ce que voulait le dieu en question c'est qu'ils en finissent et qu'ils sortent. Enfin, le dernier avait refermé la porte derrière lui et le blond maitre des potions s'était relâché.

Adossé contre le dossier de son fauteuil, il avait retiré ses lunettes, maintenant posées sur un tas de parchemins, et , la tête renversée , il frottait ses yeux des doigts de sa main droite, essayant de chasser ce mal de crâne qui résistait à tous les remèdes, n'en réclamant qu'un seul : du sommeil.
Du sommeil et moins de pression aussi.
L'après-midi s'était pourtant bien déroulée, la fièvre de la semaine de rentrée s'était apaisée. S'il n'avait vu un parchemin rempli de signatures passer d'une table à une autre, tout en faisant mine de ne rien remarquer, il aurait presque cru que les étudiants s'étaient résignés à garder Finchley comme directeur. Mais la révolte grondait silencieusement et ne pas intercepter le document avait été sa façon d'y participer.

Se redressant, ses lunettes de nouveau placées sur son nez, il prit sa plume et commença de corriger ses copies. C'était un travail qu'il avait pris l'habitude de faire dans l'humidité et la faible lumière des cachots depuis que les petites étaient arrivées et que le silence avait fui son leur appartement.

Mais apparemment, on avait décidé de ne pas le laisser tranquille car deux coups résonnèrent à la porte et quand il releva la tete avec un soupir en demandant d'entrer, il vit une tête déjà passée par l'ouverture de la porte. Une tête qu'il ne s'attendait pas à voir.

"Tiens... Que me vaut ce plaisir?"

La petite Serdaigle venait de passait une double-heure de Potions, particulièrement tendue. D'abord, parce que sa potion de Babillage, alors qu'elle aurait dû prendre une couleur orange vif, s'obstinait à un garder une teinte cramoisie et un aspect pâteux et que la dite potion avait failli éborgner le Maître de Potions car elle s'était mise à projeter des étincelles au moment où il s'était penché au dessus de la marmite pour observer de plus près l'étrange mixture.
Pour sa défense, Liberty n'avait pas totalement l'esprit dans sa marmite, car une pétition contre Finchley circulait dans la classe au nez à la barbe de Rogue, et à chaque fois qu'elle croyait voir le regard du professeur se poser sur le parchemin interdit, qu'il soit caché sur un pupitre ou sur les genoux d'un élève, elle se sentait électrifiée par la chair de poule. A la fin du cours, elle avait ramassé ses affaires et était sortie comme si de rien n'était. Dans le couloir, on lui avait discrètement glissé dans la main le parchemin enroulé, au milieu de la foule, et elle s'était empressée de le ranger dans son sac comme une banale feuille de cours qu'on lui aurait rendue puis, arrivée au bout du couloir, elle avait prétendu aller aux toilettes pour en réalité faire demi-tour et se planter de nouveau devant la porte du cachot des potions.
Elle prit une grande inspiration, puis frappa à la porte. Pourvu que Kay ne se soit pas trompé. Lorsque la voix lasse du professeur de potions lui parvint à travers le panneau de la porte, elle hésita à repartir sans demander son reste, mais la voix de Kay, ou plutôt de cette belle femme qui prétendait être lui, lui revint à l'esprit. Elle poussa la porte et entra un peu plus timidement qu'à son habitude.

"Excusez-moi, vous ... euh..."

Elle se sentit stupide. Le trac venait de lui faire oublier tout ce qu'elle avait prévu de lui dire et qu'elle avait pourtant maintes fois répété dans sa tête.
Elle glissa sa main dans sa poche et en sortit un Gallion. Pas n'importe quel Gallion, celui qui risquait de lui attirer de gros ennuis si elle se faisait prendre et si Rogue n'était pas du côté de Kay comme l'ancien directeur semblait en être persuadé.
Elle l'observa un moment dans le creux de sa main, puis s'approcha du bureau et le tendit au professeur.

"Vous avez dû faire tomber ça, je crois !"

La jeune et jolie Liberty s'avançait maintenant dans l'allée, sa queue de cheval balayant ses épaules et sa jupe courte battant ses cuisses au dessus de ses genoux. Il n'y avait pas à dire, c'était vraiment un beau brin de fille, les étudiants avaient de quoi en avoir des palpitations.

Matthew releva les yeux et les fixa dans le bleu un peu plus électrique de ceux de la jeune préfète. Liberty avait été plutot affairée en cours, il l'avait vue passer des feuilles, bavarder, et , oh surprise, mettre du cœur à sa potion, le cherchant du regard comme on cherche une bouée de sauvetage. Il l'avait d'ailleurs aidée plusieurs fois. Et alors qu'elle s'avançait, il se demanda si elle avait vraiment eu besoin d'aide ou s'il n'avait rien compris. Que Liberty soit active en classe c'était surprenant, que Liberty prenne des notes ça l'était encore plus, mais que Liberty fasse des heures sup, là, c'était littéralement hallucinant.
Elle ne pouvait pas être là pour les cours. Alors quoi?

Le regard qui ne la quittait pas se fit plus insistant.

"Je vous manquais déjà mademoiselle Green?"

Elle avait commencé de parler mais sa réplique lui avait coupé la sienne. Il se tut donc et la laissa retrouver le fil de ses pensées. Liberty timide, ça aussi, c'était une première.

La Serdaigle regardait quelque chose dans le creux de sa main. Naturellement, le regard de Matt suivit le sien et il vit briller dans sa paume un Gallion d'or. Lorsqu'elle lui dit qu'il l'avait laissé tombé, il régit aussitot.

"C'est très honnête de votre part, mais non je n'avais pas d'argent sur moi, il a du tomber d'une autre po..."

Le regard insistant qu'elle dardait sur lui ainsi que la paume tendue avec une détermination sans faille, coupèrent Matthew avant la fin de sa phrase. Il prit doucement le gallion entre ses doigts et sentit un petit coin qui en depassait. Retournant la pièce, il vit qu'un petit papier y etait accroché. Il interrogea silencieusement Liberty et d'un coup de baguette, fit sauter le sort d'adhésion. Il déplia le papier et le lut. immédiatement, ses yeux s'arrondirent et il attrapa la main de Liberty.

"Où avez vous eu ça? Qui vous l'a donné? Est-ce qu'Il va bien?"

Le temps d'hésitation du professeur de potions parut interminable à Liberty. Tendue et muette, elle avait planté sur lui un regard insistant qu'elle n'avait pas l'intention de relâcher tant qu'il n'aurait pas en main le Gallion qu'elle lui tendait, le message de William Kay. Pendant une seconde absurde, elle craint que le professeur ne s'imaginât qu'elle tentait de le soudoyer, et cette pensée lui tordit le ventre de gêne. (Après tout, ça n'aurait pas été si étonnant, sa potion de Babillage s'étaient avérée une vraie catastrophe. Cependant, jamais une idée pareille ne l'aurait même effleurée, et elle espérait que le séduisant professeur en fusse conscient. Elle laissait ce rôle malhonnête aux Serpentard.)
Par chance, le professeur finit par céder à son regard insistant, et la petite préfète ne put réprimer un léger soupire de soulagement lorsqu'il découvrit le mot. Elle l'observa le déplier, puis le lire, avec anxiété. Elle n'avait aucune idée de ce que contenait ce message et brûlait de lui poser la question. Mais avant qu'elle n'ait pu le faire, le professeur s'était soudain animé et lui avait vivement attrapé la main. Par un réflexe apeuré, elle l'avait aussitôt retirée et tenait à présent ses deux mains en boule contre sa poitrine, comme si elle voulait se protéger de quelque chose.

"C'est ... lui qui me l'a donné. Mr Kay, je veux dire", bredouilla-t-elle. "Je ne sais pas s'il va bien, je ne l'ai vu que quelques minutes, il est venu me trouver à la sortie de mon travail. Et il ..."

Il était sous Polynectar. Sur le coup, cela lui avait semblé un détail important à préciser, mais pour une raison qu'elle ne parvenait pas à s'expliquer, Liberty ne pouvait s'empêcher d'être méfiante. Elle décida qu'il n'était pas nécessaire d'en dire plus que ce que William Kay avait décidé de révéler dans la lettre à son ami.
Téméraire, elle posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis l'instant où Rogue avait posé les yeux sur le petit bout de parchemin.

"Qu'est-ce qu'il dit ?"

Ainsi William était venu à Pré-au-Lard. A la sortie de la poste sorcière, là où il y avait tellement de passage. Etait-il devenu inconscient ? Autant envoyer un courrier à Finchley pour lui dire l'heure et le lieu! Non, une minute. William était l'homme le plus intelligent qu'il connaissait, il n'aurait pas commis une erreur pareille. Si Liberty l'avait vraiment vu là bas, il avait du user d'un stratagème, à moins qu'il ne lui ait demandé de mentir si on lui posait la question. Mais là encore le message était trop gros.

"il ?"

La demoiselle n'avait pas fini sa phrase, s'interrompant volontairement pour ne pas trop en dire, William l'avait bien choisie. Il lui fit signe qu'il comprenait son silence et n'en attendit pas plus. Saisissant sa baguette, Matthew mit le feu au papier avant de le lâcher en secouant sa main. Diable, ça flambait vite ! Il fit disparaitre les cendres, ne laisser aucune preuve, aucune trace.

Le professeur hésita à répondre à la question de la préfète. La prudence était de mise. Cependant, il comprenait son angoisse et son excitation.

"C'est un rendez vous. Il ne vous a rien dit d'autre? Pas de phrase qui vous semblerait sans aucun sens? Pas de gestes inhabituels ou saugrenus dont vous vous souviendriez? Etait-il seul? Ne me regardez pas comme ça Liberty, on est du même côté, sinon je n'aurais pas laissé circuler cette pétition durant mon cours."

La pétition. Il avait donc vu la pétition. Un vague sentiment de honte l'envahit, mais disparut aussitôt. Elle avait cru l'action discrète, elle avait pensé que Rogue n'y verrait que du feu, mais c'était sans compter le troisième oeil, le sixième sens du professeur et la sagesse acquise avec sa longue expérience de trentenaire. Elle se sentit quelque peu vexée, mais ce sentiment s'évanouit presque instantanément, remplacé par l'excitation de la confidence.
Rogue était donc bien de leur côté. Jamais elle n'avait même imaginé qu'elle puisse un jour comploter avec un professeur, surtout ce professeur, mais elle avait s'était promis d'aider Kay coûte que coûte ... et s'il estimait que Rogue était digne de confiance, alors elle lui ferait confiance aussi.

"La seule chose étrange c'est qu'il s'est présenté à moi sous l'effet de Polynectar, je crois. Mais je ne me souviens pas qu'il ait dit quelque chose de particulièrement mystérieux ..." commença-t-elle, à moitié pour elle-même, tentant de se rappeler ce qui avait précisément été dit durant leur entretien le samedi précédent. "Il a simplement mentionné une ... contre-attaque. Apparemment il veut préparer son retour sans permettre à Finchley d'anticiper ses mouvements ... Mais je n'en sais pas plus ..."

Elle laissa sa phrase quelque peu en suspens, hésitante. Elle brûlait de curiosité de savoir ce que Kay préparait, et se demandait s'il l'avait mentionné dans son message, et donc si Rogue en savait plus qu'elle.
Un silence plana quelques secondes dans la salle de classe. On n'entendit alors plus que le tic-tac de l'horloge et la rumeur des voix dans les couloirs.
Liberty prit alors une inspiration, décidée.

"Il faut que vous sachiez que nous sommes nombreux du côté des élèves à chercher le moyen de faire revenir Kay. Pour des raisons que vous comprendrez, je ne peux pas encore vous dire qui, mais nous avons différents projets qui risquent de bouleverser le fonctionnement de l'école. Quand vous verrez le directeur ... enfin Mr Kay, pourrez-vous lui faire passer un message à votre tour ?"

Elle sentit le rose lui monter aux joues. En tant que préfète, ce n'était bien sûr pas la première fois qu'elle discutait "entre adultes" avec un professeur, mais d'un tel sujet, avec un homme aussi intimidant ... Elle garda néanmoins son courage et poursuivit sur sa lancée, d'un ton un peu plus solennel qu'elle ne l'aurait voulu.

"Dites lui que nous n'avons pas peur de nous opposer à Finchley et qu'il a notre soutien. Qu'il peut nous faire confiance s'il a besoin d'aide de notre part, quelle que soit sa nature."

Elle hésita de nouveau, avec le sentiment qu'elle avait oublié quelque chose.

"Euh ... S'il vous plaît ."

« Polynectar vous dites ? Voilà qui explique certaines choses. Je me disais aussi… »

Matthew avait retiré ses lunettes et gardait le regard fixé sur la gallion qu’il faisait tourner entre ses doigts. Bien sûr, le polynectar ! William était passé pro dans sa préparation et son utilisation lorsqu’ils étaient encore étudiants. C’était une des meilleures façons d’échapper à l’attention des possibles personnes chargées de sa surveillance. Car ce devait être le cas. Il eut un petit sourire lorsque la blonde préfète parla de l’actuel directeur.

« Monsieur Finchley n’anticipera rien du tout. Il est bien trop occupé à mettre l’école dans le droit chemin comme il dit. Ceci dit c’est un homme intelligent et il n’en faudrait pas beaucoup pour lui mettre la puce à l’oreille. Vous n’avez parlé de ceci à personne je présume ? »

Le silence qui s’était installé en disait plus long que tous les serments qu’elle aurait pu prononcer pour jurer de sa prudence. Elle préféra l’informer de la mini rébellion qui avait déjà commencé dans Poudlard, le mouvement de soutien à William dont il n’avait vu que la partie haute de l’iceberg. Matthew lui tendit le gallion, elle en aurait plus l’usage que lui. Et puis c’est à elle que William l’avait donné, une pièce d’une mornille aurait suffit pour dissimuler le message. Le choix du gallion n’avait rien d’anodin lorsqu’il était destiné à une jeune fille qui devait travailler pour financer ses études.

« Tenez reprenez le, je pense que William ne me le destinait pas. Je ne vous poserai pas de question concernant vos « troupes » mais j’en ai une petite idée. Vous savez Liberty… » Il passa de l’autre côté du bureau, rompant les barrières étudiant professeur et s’assit à moitié sur le bois verni. « … William a rédigé la liste des préfets avec Faelin juste quelques jours avant d’être démis de ses fonctions. Il a envoyé aussitôt les courriers qui, vous avez du vous en rendre compte, vous sont parvenus plus tôt que d’habitude. Il savait ce qui se tramait et il vous a choisis en fonction de ça. Monsieur Keryann et vous êtes les premiers préfets redoublants de l’histoire de Poudlard. Monsieur Cornwell et Melle Hodges sont les premiers préfets à avoir de si faibles moyennes. Il n’a pas sélectionné les préfets en fonction de l’élitisme habituel, il vous a choisis parce qu’il savait qu’il pouvait compter sur vous. Mais je lui répèterai tout ce que vous venez de me dire. Allez-y maintenant, mieux vaut ne pas courir trop de risques. »

Il s’était levé, mettant fin à l’entretien. Cependant, avant qu’elle ne sorte, il reprit sur le ton de la conversation.

«Bonne soirée mademoiselle Green et bravo pour votre E pour la potion de ce jour. Vous voyez que vos efforts portent leurs fruits. Il faut juste un peu de jugeote et de patience… Je vais m’avancer dans mes corrections, il ne faut pas que je prenne de retard car je vais devoir m’absenter vendredi soir. J’espère que mon absence ne portera de tort à personne et qu’elle ne sera pas remarquée. Les débuts de week-end sont généralement agités n’est-ce pas ? Monsieur Finchley devrait avoir d’autres chats à fouetter que la surveillance des va-et-vient de ses professeurs…»

Le professeur tassa ses dossiers et les enfourna dans son sac de cuir brun. Il semblait avoir oublié la présence de la 7ème année.

Le regard azur de Liberty se posa sur le Gallion qui était de retour dans sa main. Elle le fixa bêtement un long moment, sans savoir quoi dire. Un simple "merci" ne lui traversa même pas l'esprit, car elle ignorait si elle était reconnaissante envers le professeur ou plutôt vexée. Elle n'avait jamais espérée être payée pour aider William Kay, et le fait d'être récompensée pécunièrement pour ce geste la dérangeait, mais il fallait bien avouer qu'un Gallion de plus dans sa poche serait loin d'être indésirable.

Lorsque ses yeux quittèrent enfin la pièce dorée, ils se posèrent sur le professeur de Potions, qui semblait à présent parler tout seul, déjà replongé dans ses corrections de devoirs. Devoir auquel elle aurait ... un E ? Cette note était-elle aussi en remerciement de son aide, ou était-elle réellement méritée ?

"Bon, eh bien ... au revoir." souffla-t-elle, sans vraiment être sûre que Rogue l'ait entendue.

Elle glissa la Gallion dans la poche de sa veste et fit demi-tour, encore sous le choc de cet entretien. Rogue était dans le complot. William Kay avait flairé le coup et préparait sa réplique depuis le début de l'été ... et il avait choisit délibérément de permettre à certains élèves -dont elle faisait partie- de le rejoindre s'ils le désiraient ...
Le coeur de la petite préfète gonfla de fierté. Elle ne parlerait pas aux autres de cet entretien, du moins pas tout de suite, si Rogue ou Kay lui-même ne lui en donnaient pas ouvertement la permission, mais elle était plus décidée que jamais à se battre pour faire revenir le vrai directeur de cette école.